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IA & Aéronautique : une relation pleine de promesses

                                               

 

L'IA au service des aéroports de demain

INTRODUCTION

Parce qu’ils sont le point de rencontre entre le ciel et la terre, le lieu de convergence de toutes les parties prenantes du monde aérien, des environnements complexes et critiques où les exigences de sécurité sont omniprésentes, les plateformes aéroportuaires sont des écosystèmes uniques en leur genre. Si certains existent depuis plus d’un demi-siècle, certains ouvrent leurs portes aujourd’hui et d’autres sont encore en construction. Tous font et feront face à des enjeux de sécurité, de gestion du trafic, d’optimisation de leurs opérations et de congestion de leurs infrastructures. Quels sont les défis d’aujourd’hui et à venir ? Comment l’innovation est-elle gérée au sein des aéroports en ce sens ? Dans quelle mesure l’IA sera-t-elle au service de l’aéroport de demain ?

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Vue aérienne de l'aéroport d'Atlanta, n°1 mondial en termes de passagers - Photo de formulaone sous licence cc-by-sa-2.0.

Pour répondre à ces questions, Flyinstinct vous propose dans ce troisième article de notre dossier d’été « L’IA et l’aéronautique, une relation pleine de promesses » de découvrir comment cette technologie est et sera utilisée dans les aéroports. Pour cela, Monsieur Éric Pivot, qui vient de terminer sa 5e année au poste Innovation Manager au sein du Groupe ADP, nous a consacré du temps pour répondre à nos questions et alimenter cet article.

Les enjeux actuels des aéroports

Nombre de passagers aériens transportés de 1973 à aujourd'hui comparé aux prévisions - image de Hsye2361 sous licence CC-BY-SA-4.0

La crise sanitaire et économique du COVID19 a mis fin à la croissance continue du trafic aérien. La plus grande problématique à laquelle les aéroports étaient jusqu’alors confrontée, à savoir une congestion des plateformes, s’est résolue d’elle-même à court terme. Pour autant, certaines structures comme les hubs historiques européens devront apporter des solutions car le problème ressurgira. Presque toutes les perspectives d’innovation découlent de cette congestion. Les axes de réflexion côté airside sont l’optimisation des opérations pour diminuer le temps d’occupation des infrastructures, de la piste et pour maximiser les capacités d’accueil. Dans les terminaux, l’accompagnement des passagers et l’amélioration de l’expérience utilisateur sont des sources d’innovation. Avant de faire un tour d’horizon des solutions qui ont été ou qui seront implémentées sur les plateformes, il convient de comprendre comment les aéroports d’aujourd’hui préparent les innovations de demain.

La gestion de l'innovation au sein des aéroports

Parler d’innovation dans les aéroports peut surprendre quand on connaît la longévité de certains hubs européens dont le fonctionnement global est établi depuis plusieurs dizaines d’années.


Eric Pivot était depuis 2015 et jusqu’à très récemment Innovation Manager au sein du Groupe ADP. Il s’oriente maintenant vers des fonctions plus proches de l’airside. Son travail pour le groupe commence dès 2012 quand il rejoint HubOne, filiale du Groupe ADP.


« J’ai rejoint le pôle Innovation d’HubOne, l’opérateur télécom des aéroports de Paris, avec un rôle de veille technologique. L’objectif était de diagnostiquer des nouveaux matériaux et outils afin de les transposer dans les champs d’application de la société. Il fallait par exemple créer un écosystème radio qui permette d’avoir des canaux radio pour tous mais aussi des zones radio spécifiques pour les interventions de la police, des pompiers, avec des priorités. Nous avons aussi étudié le développement de la 4G sur les pistes. L’innovation à l’époque était de développer des produit pour ADP ».

Déploiement d'une antenne 4G de Bouygues Telecom au salon du Bourget en 2017 - image de Mathieu Leclerc

Mais le groupe décide ensuite de développer son propre pôle d’Innovation en interne, pôle que M. Pivot structure avec 2 autres personnes.


« La philosophie autour de l’innovation a commencé à changer. Il ne s’agissait plus d’une approche de technophile mais d’innovation par l’usage, c’est-à-dire innover en fonction des besoins des clients que sont les passagers et les compagnies aériennes. Les acteurs ont un intérêt moindre pour la manière dont les produits ou services sont conçus, ils veulent que cela fonctionne. On doit donc leur révéler un usage, un besoin. »

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L’innovation va progressivement se structurer et s’organiser en profondeur.
 

« L’innovation au sein du Groupe ADP s’est fractionnée en 3 domaines. ADP Connect permet de faire de la veille technologique avec de l’expérimentation adaptée à l’aéroportuaire. La veille peut se faire sur des thématiques variées comme l’automatisation ou les jeux et dans différents secteurs. Par exemple les technologies en logistique et transport que développe Amazon sont potentiellement intéressantes pour nous. On trouve une nouvelle technologie, et on se demande si on peut la tester sur un aéroport. Il y a bien sûr des spécificités à prendre en compte concernant les exigences de réglementation et de ponctualité. »

 


A la vue de ces spécificités, on peut se demander comment les petites structures chez qui les innovations sont repérées trouvent le moyen de répondre à ces exigences et aux comptes qu’un groupe de 25000 personnes qui gère plus de 280 millions de passagers doit rendre. C’est tout l’enjeux d’ADP Invest.


« Si l’on tombe sur une technologie intéressante, il faudra la produire sur une échelle de temps suffisamment longue avec un niveau de qualité constant. ADP Invest, la 2e entité de l’innovation, accompagne la start-up dans le développement de la technologie et peut en financer une partie pour aider au développement commercial. On peut le voir comme un fond d’investissement pour aider à pérenniser les produits. Les possibilités sont nombreuses, il peut y avoir une aide dans le développement du produit, une intervention dans la production, un rachat de la structure ou une prise de participation minoritaire. ADP a quelques parts dans une dizaine de start-ups par exemple. »

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Enfin, il faut prévoir toute une communication et une valorisation de ces technologies. Cela permet de faire connaître les start-ups mais aussi de valoriser l’aspect local d’une innovation. Ce qui peut être pertinent, utile et adapté à une localité ne l’est pas forcément sur un autre aéroport. C’est le rôle d’ADP Open.


« Cette 3e entité permet de communiquer et transmettre. Il faut diffuser les actualités en interne pour tenir les gens au courant et capitaliser sur l’efficacité opérationnelle locale. ADP regroupe une multitude d’aéroports qui ont tous leurs spécificités. Communiquer sur une innovation peut permettre à des acteurs de la repérer et de la considérer comme adaptée aux besoins et usages locaux. Il faut également diffuser en externe pour valoriser la démarche et attirer d’autres start-ups en montrant que nous pouvons être un catalyseur. »

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Ainsi, bien loin de se contenter d’exploiter ses aéroports, le Groupe ADP a construit un véritable accompagnement des start-ups. De la veille à la communication en passant par le développement de la technologie, chaque étape du processus d’innovation dispose d’une entité dédiée. Une dizaine de personnes et un fond d’investissement de 16 millions d’euros contribuent aujourd’hui à faire aboutir des projets innovants qui feront l’aéroport de demain. Encore faut-il savoir à quoi il ressemblera.

Côté ville ou côté piste, l'omniprésence de l'IA

Nous l’avons vu précédemment, les aéroports font face à des enjeux aussi bien côté airside que dans les terminaux. Le côté airside, aussi appelé côté piste, est uniquement accessible aux passagers munis de billets ainsi qu’au personnel agréé. Il regroupe les salles d’embarquement, les pistes et zones de circulation des aéronefs, les zones de tri et de livraison des bagages, etc. Les terminaux, ou côté ville, sont accessibles sans autorisation et regroupent parcs de stationnement, voiries extérieures, commerces, services, zones d’accueil, comptoirs d’enregistrement, etc.

 


Les projets dans les terminaux portent sur l’accompagnement des passagers et la gestion des flux, l’amélioration de son expérience en agrémentant son parcours de plus d’interaction. Un seul mot d’ordre, le retail.


« L’objectif est de développer des services côté passager notamment des services de sécurité en collaborant avec la police, la gendarmerie le GIGN. En parallèle, nous réfléchissons à comment diminuer la durée de marche. Mais la plus grande source d’innovation est liée au retail. Il faut attirer les grandes marques en offrant des concessions, les commerces ne payent pas de loyer mais adhèrent à un système de success fees (l’aéroport récupère une partie de ce que dégage le commerce). L’aéroport ne va pas faire en sorte que le commerce vende plus mais il peut agir sur les flux pour orienter les passagers et offrir des clients potentiels. D’autres paramètres entrent en compte comme la gestion des files d’attentes car des passagers qui attendent moins sont disposés à se rendre dans les commerces. »


On peut également citer l’attribution d’un code couleur aux files d’attentes du poste d’inspection filtrage en fonction du flux de passager pour optimiser le temps de passage ou l’assistance de robots comme Care-E, développé par KLM, qui guide l’usager jusqu’à sa porte en acheminant la valise tout en étant capable de faire des pauses dans les commerces. 

 


L’autre enjeux dans les terminaux est l’amélioration de la sécurité des passagers, qui peut poser des problèmes d’éthique quand les technologies de biométrie ou de reconnaissance faciale sont évoquées. 


« La reconnaissance facile permet d’éviter les intrusions dans des zones non autorisées. Le traitement automatique des images par l’IA est à la base de systèmes d’alerte pour délimiter et surveiller les zones ou de la reconnaissance des formes pour repérer des bagages abandonnés. »

 


Côté airside, les champs d’application intègrent tous un objectif d’optimisation de l’organisation des tâches, des communications entre les parties prenantes et des opérations aériennes.


« Aujourd’hui, toutes les opérations sont minutées. Il faut respecter les horaires, il y a des indemnités de retard, les jalons sont au cœur du fonctionnement. La block chain est utile pour créer un consensus tacite, notamment lors de la reconfiguration d’un avion au sol. On peut mutualiser les équipements, savoir qui utilise quoi et quand. Cela permet d’avoir un système auto-contrôlé. »

 


L’assistance en escale est un moment clé qui requiert rapidité d’exécution, rigueur et communication. Le traitement d’image se révèle être une aide précieuse.


« Lors de l’escale, il y a un chef d’orchestre de la zone avion car c’est une situation qui peut générer beaucoup de stress. La communication est cruciale. Il peut y avoir des actions sans que l’aéroport en soit informé, et il ne peut lui-même pas avertir le contrôle aérien. Une innovation prometteuse est l’installation d’une caméra sur le parking avion avec de la Computer Vision (l’ordinateur reconnait ce qu’il y a sur l’image et peut détecter des événements) pour repérer les étapes d’escale. Par exemple, la caméra va détecter la fermeture de la porte arrière de l’avion, ce qui signifie qu’une certaine étape est terminée et que le reconfiguration peut se poursuivre. On vérifie que le planning est bien séquencé et respecté. Dans le cas contraire, on peut faire remontrer des alertes. Le but est de gagner en efficacité opérationnelle. »

 


Une autre tâche dans laquelle l’IA peut aider est la maintenance. Le problème est que les acteurs de la maintenance de demain ne sont que peu compatibles avec les aéroports puisqu’il s’agit des drones.


« On peut gagner en efficacité dans la petite maintenance avec les drones mais ils restent plutôt un danger à l’heure actuelle. Il a été décidé de construire une société et de développer un service hors des 3 domaines d’innovation, sur un modèle d’intrapreneuriat. Hologarde a été créée comme filiale à 100% de Groupe ADP avec deux services distincts. Hologarde assure la détection, la surveillance et la neutralisation des drones dangereux sur les plateformes aéroportuaires, tandis qu’Hologuide supervise la gestion des drones collaboratifs. Les besoins d’innovations peuvent amener à créer directement des structures en interne. »

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La Computer Vision est également prometteuse pour les autres inspections réglementaires airside qu'il faut réaliser, notamment le péril animalier, l'inspection balisage, la surveillance des obstacles et les inspections FOD (Foreign Object Debris). C'est dans cette optique qu'a été créée Flyinstinct, pour proposer une Plateforme d'Inspection Digitale mobile permettant la détection automatique des débris sur les pistes. Le produit est un module de plusieurs caméras situé sur un mat sur le toit du véhicule et relié à des calculateurs. Les images optiques capturées sont traitées et comparées à un modèle acquis précédemment, permettant la détection des objets inhabituels. Arthur Ni, CEO et co-fondateur de Flyinstinct, nous explique le choix des aéroports comme domaine d'application de cette technologie IA.

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« L'écosystème aéroportuaire est très procédurier et cadré. Aujourd'hui, l'industrie a confiance dans la capacité de l'IA à être performante dans ces milieux. Il y a peu d'éléments laissés au hasard, tout est réglementé et les exigences sont fortes : ce sont des caractéristiques que l'on peut inculquer à l'IA et qui vont être exploitées pour améliorer le système. Par ailleurs, nous avons perçu un réel besoin des aéroports. Dans cet environnement aux fortes exigences de sécurité, la possibilité d'assister les opérateurs humains pour permettre une détection plus sûre avec une pénibilité moindre est un résultat recherché et attractif pour tous les acteurs. Les agents peuvent se recentrer sur d'autres missions notamment s'il s'agit des pompiers du SSLIA (Service de Surveillance et de Lutte contre l'Incendie des Aéronefs). Enfin, intégrer de telles technologies sur les aéroports accélère la transition numérique vers un aéroport plus connecté et plus sûr, tout en soutenant l'innovation.  »

 


Le dernier domaine que l’on peut mentionner est la connectivité entre l’aéroport et la ville. Un passager qui arrive tôt et sans encombre sera moins stressé et plus enclin à se rendre dans les boutiques. La congestion des axes routiers et les limites des transports en commun conduisent à se tourner vers l’Urban Air Mobility.


« L’UAM est une clé pour améliorer la connectivité entre l’aéroport et la ville. Les drones ont des capacités d’emport et d’autonomie qui vont s’étendre. On développe des VTOL (Vertical Take-Off and Landing) avec des capacités d’emport proches des hélicoptères mais qui s’inscriraient dans une réglementation proche des drones pour pouvoir s’intégrer dans le trafic urbain. On pourrait envisager un décollage depuis le toi d’un building à La Défense et une arrivée au pied de l’avion à CDG. »

Les difficultés et enjeux à retenir

Si les aéroports ont une multitude de perspectives d’évolutions grâce à l’IA, il reste des obstacles propres à l’aéronautique. Les barrières réglementaires peuvent sembler importantes mais, peut-être encore plus dans le monde aérien, la sécurité n’a pas de prix. Si l’innovation améliore le niveau de sécurité des plateformes aéroportuaires, elle pourrait remettre en question certaines règles.


« Il est évident qu’il y a un prérequis réglementaire très fort dans l’aérien mais l’innovation est là pour repousser ces limites. Un industriel développe des produits conformes à la loi en vigueur, mais si Uber avait pensé comme ça la société n’aurait jamais vu le jour. Ils ont remis en cause la réglementation des taxis en restant fidèle à leur valeur ajoutée, mettre en contact les gens. Les start-ups sont là pour faire bouger les choses. Par ailleurs, il est possible de bousculer la réglementation dans un contexte réglementaire particulier. Si l’on veut tester une technologie pendant une temporalité limitée, dans une localité bien précise et pour un usage restreint, les règles peuvent parfois être contournée dans l’innovation. Cela a notamment été le cas avec la reconnaissance faciale. L’innovation se confronte également aux freins internes, car tout le monde ne profite pas immédiatement des retombées d’un test qui peut monopoliser des ressources financières et humaines importantes. Les acteurs sont intéressés par le produit fini. Néanmoins, le droit à l’erreur que l’on a dans l’innovation est la plus grande source d’apprentissage ».

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Le mot de la fin est consacré aux défis que l’IA peine encore à relever. La collecte, l’analyse et l’exploitation des données sont devenues des enjeux incontournables pour les aéroports car elles sont omniprésentes, que ce soit à chaque étape du voyageur ou côté airside. Au-delà des informations récoltées sur le passager et ses habitudes, les données peuvent être l’occasion de concevoir l’aéroport différemment. Exploiter les données de manière ordonnée, pertinente et organisée permet d’arriver à une conception orientée utilisateur. L’IA augmente le nombre d’exemples récoltés sur une situation et la finesse des informations. Cela permet une meilleure qualité de la réponse apportée en incluant l’utilisateur dans la conception. Si l’aéroport est déjà pleinement exploité, les données se révèlent utiles pour analyser les comportements et ainsi éviter des accidents ou des problèmes. Il est possible de rediriger les passagers pour les éloigner d’un incident qui aurait pu survenir dans l’aéroport.


« L’aéroport génère énormément de données. Sur un Airbus de la gamme Néo on peut avoir jusqu’à 25000 capteurs autour du passager. On peut s’informer de son état, de la qualité du voyage et lui proposer des services en conséquence à l’arrivée. Le problème est qu’on arrive à la limite de ce que peut traiter l’IA. Soit on n’arrive pas à établir des rapprochements entre les données, soit le volume est trop important pour être travaillé. Cela peut entraîner des difficultés à afficher synthétiquement des résultats. La réglementation impose que tout soit joué, validé, rejoué, revalidé, ce qui n’aide pas. L’autre limite de l’IA concerne le cadre hyper normé qu’est l’aéroport. A chaque étape il y a un respect des procédures, des jalons, mais tout le monde interprète. Cette intervention des facteurs humains complique le travail de l’IA qui ne sait pas s’adapter à cet aléa. Il est donc difficile de mettre en place des progrès normés ».
 

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